Parfois, la portée d’une tragédie est trop vaste pour être ignorée. Le nombre de vies perdues à cause des maladies infectieuses fait partie de ces tragédies qui se déroulent année après année sous nos yeux.

Par Fady Jameel, Président délégué et Vice-président d’Abdul Latif Jameel.

L’impératif moral est d’autant plus aigu que les pays les plus gravement touchés par les maladies infectieuses – les pays les plus pauvres, appelés Pays du tiers monde – sont souvent ceux qui n’ont pas les ressources nécessaires pour réagir avec l’urgence nécessaire.

Ceci ne devrait pas être une fatalité. J’estime que la technologie moderne et l’intelligence des données nous permettent de faire face à cette catastrophe mondiale avec une précision sans précédent. Notre défi est donc clair : comment utiliser les nouveaux outils à notre disposition pour lutter contre cette menace grandissante et sauver plus de vies.

Où que vous regardiez, les chiffres sont alarmants.

World Health Organization Logo

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMSI), les maladies infectieuses tuent près de neuf millions de personnes par an, dont beaucoup d’enfants de moins de cinq ans. Parmi ceux qui ont la chance de survivre, de nombreux sont confrontés à des handicaps à vie.[1]

Les maladies transmissibles figurent parmi les dix principales causes de décès dans le monde. Les infections des voies respiratoires basses (généralement, la pneumonie) ont provoqué près de trois millions de décès en 2016 ; la diarrhée environ 1,4 million de décès ; la tuberculose, 1,3 million de décès et le SIDA un million supplémentaire.[2]

Et pourtant, ce n’est qu’un aperçu de la véritable calamité, car les gros titres des médias attestent de nouvelles flambées d’Ebola, de choléra, du virus Zika et du MERS, ajoutant d’innombrables autres décès au décompte mondial.

Tracer une piste de destruction

L’évolution rapide de l’épidémiologie nous aide à suivre où se produisent de nouvelles épidémies et la vitesse à laquelle elles se propagent. Elle nous permet également de savoir quand une épidémie (un pic soudain des cas d’une certaine maladie au sein d’une population) se transforme en pandémie (une épidémie qui se diffuse dans plusieurs pays ou plusieurs continents).

Par exemple, l’OMS décrit l’épidémie d’Ebola de 2014-2016 en Afrique de l’Ouest, qui a commencé en Guinée puis s’est propagée à travers la Sierra Leone et le Libéria, comme la pire pandémie depuis la découverte du virus en 1976. La Guinée a connu plus de 2 500 décès, la Sierra Leone près de 4 000 et le Libéria près de 5 000. Actuellement, la région orientale de la République démocratique du Congo en subit l’arrivée.[3]

Ebola outbreak in West Africa

Le spectre du choléra est rarement loin, avec des flambées récentes en Angola, en Éthiopie, en Somalie, au Soudan, au Vietnam, au Zimbabwe, en Zambie et en Afrique du Sud. L’épidémie de 2008 au Zimbabwe a duré près d’un an et s’est propagée dans tout le pays ainsi qu’en Zambie et en Afrique du Sud. L’épidémie de choléra au Yémen en 2016 a été décrite par l’OMS comme « La pire épidémie de choléra au monde ». Les infections par le choléra dans le monde sont estimées entre trois et cinq millions par an, soit 100 000 à 130 000 décès.[4]

Bien qu’il n’ait attiré l’attention mondiale que récemment, le virus Zika a été identifié pour la première fois en Afrique et en Asie dans les années 1950. Ce n’est qu’en 2013 qu’il a pénétré en Océanie, et s’est rapidement propagé dans les Amériques. Une épidémie survenue en 2015 et originaire du Brésil s’est rapidement propagée à d’autres pays d’Amérique du Sud ainsi qu’en Amérique centrale, en Amérique du Nord et dans les Caraïbes. Environ 1,5 million de cas de Zika ont été enregistrés au Brésil seulement. Virus particulièrement cruel, il peut être transmis des femmes enceintes à leurs enfants à naître, entraînant souvent une maladie mortelle désignée microcéphalie.

En effet, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDPC) a signalé environ 1 500 cas de microcéphalie au Brésil après l’épidémie de 2015-2016.[5]

Le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV), est un autre danger supplémentaire croissant qui exige une extrême vigilance.

Originaire d’Arabie saoudite en 2012 et étendu à la péninsule arabique, le MERS fait état d’un taux de mortalité de plus d’un tiers.

The spread of MERS-CoV between animals and humans across the globe.  Image credit © WHO
La propagation du MERS-CoV entre les animaux et les humains à travers le monde. Crédit images © WHO

La souche MERS fait preuve d’une capacité troublante à traverser les continents, une souche MERS a été identifiée chez un patient à Londres en 2012. Trois ans plus tard, une importante épidémie est survenue en Corée du Sud. 6 508 personnes ont été mises en quarantaine lors de cette flambée, qui a entraîné 184 cas confirmés et 19 décès.[6]

Colorized transmission electron micrograph showing particles of the Middle East respiratory syndrome coronavirus that emerged in 2012. Credit: NIAID

Une tempête parfaite révèle notre vulnérabilité

Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est radicalement différent du monde d’il y a plusieurs décennies. Une population en plein essor impose de nouvelles contraintes aux infrastructures et aux ressources. Dans de nombreux pays, un plus grand nombre de personnes vivent dans une promiscuité extrême.

Les changements climatiques augmentent le nombre de catastrophes naturelles telles que les inondations et les ouragans qui dévastent les habitats et condamnent de nombreuses personnes à vivre dans un environnement insalubre. Les guerres et les conflits frontaliers, leur équivalent d’origine humaine, ont un impact similaire.

Parallèlement, nous avons assisté à une augmentation exponentielle de la mobilité mondiale, ce qui signifie que les épidémies localisées ont désormais une portée mondiale. Cette « tempête parfaite » confère une urgence supplémentaire aux efforts de lutte contre l’émergence et la propagation de ces maladies infectieuses calamiteuses – et souvent évitables.

National Center for Biotechnology Information Logo

Un rapport du NCBI pour le National Institute of Health aux États-Unis, par exemple, étudie les flambées de maladies après des catastrophes naturelles.[7]

Il a enregistré une flambée de maladies diarrhéiques après les inondations au Bangladesh de 2004 avec plus de 17 000 cas ; plus de 16 000 cas de choléra suite aux inondations du Bengale occidental en 1998.

L’éruption du Mont Pinatubo aux Philippines en 1991 a entraîné environ 18 000 cas de rougeole chez les déplacés vivant dans une forte promiscuité. Le Pakistan a enregistré plus de 400 patients atteints de rougeole après le séisme de 2005 en Asie du Sud-Est. Une forte augmentation des cas de paludisme au Costa Rica en 1991 a été liée à un tremblement de terre dans la région de l’Atlantique du pays en 1991.

Anopheles stephensi mosquito feeding on a human host.  This mosquito is a known malarial vector with a distribution that ranges from Egypt all the way to China. Source: CDC
Anopheles stephensi mosquito feeding on a human host.  This mosquito is a known malarial vector with a distribution that ranges from Egypt all the way to China. Source: CDC

Un Moustique Anopheles stephensi se nourrissant d’un hôte humain. Ce moustique est un vecteur du paludisme connu et dont le territoire s’étend de l’Égypte à la Chine. Source : CDC

D’un autre point de vue, un rapport publié dans une revue médicale de renomThe Lancet en 2002 a présenté l’impact des maladies survenues pendant et après la pire catastrophe provoquée par l’homme : la guerre.

Il a identifié 25 pays touchés par des conflits, principalement en Afrique subsaharienne, où les infections respiratoires, la diarrhée, la rougeole et le paludisme représentaient 70 % de tous les décès.

Il a estimé que les « taux bruts de mortalité » étaient plus de 60 fois supérieurs aux taux de référence après des déplacements massifs et a mis en évidence les 12 000 réfugiés rwandais tués en juin 1994 suite à l’épidémie de choléra et de dysenterie à Goma.[8]

Même si l’image est sombre, le motif en est clair. Et pourtant, tout n’est pas perdu. À mesure que le péril grandit, nos moyens de réponse augmentent également. Et je suis persuadé qu’Abdul Latif Jameel peut faire une différence significative.

Solutions technologiques aux problèmes naturels

L’intelligence artificielle (IA) s’impose comme notre arme la plus précieuse dans la lutte contre les maladies infectieuses. En utilisant des systèmes informatiques avancés, nous sommes de plus en plus capables de déchiffrer leur apparition et leur propagation, ce qui était impossible auparavant.

À son niveau le plus fondamental, l’IA nous permet de collecter des données en direct à mesure que de nouvelles épidémies de maladies infectieuses se produisent et de prédire leur comportement en mappant ces données avec des modèles existants. À son tour, cela aide les équipes d’urgence et les scientifiques à concevoir les stratégies les plus rapides et les plus efficaces pour contenir la menace, voire même à prévenir les épidémies avant qu’elles aient le temps de prendre racine.

Si l’on va plus loin, on peut dire que les domaines dans lesquels l’IA peut renforcer nos défenses contre les maladies infectieuses sont presque illimités. Tenir compte de la valeur de l’analyse et de la modélisation en temps réel pour contenir les épidémies ; améliorer la collecte de données sur place et déverrouiller ses indices cachés ; identifier des méthodes plus fiables pour protéger les civils déplacés ; mieux comprendre les facteurs de sensibilité et de résilience ; renforcer les systèmes de santé dans les foyers de maladie et accélérer l’accès aux traitements urgents.

Nous grattons à peine la surface et, pourtant, ces avantages vont au-delà de la simple hypothèse – la technologie est avec nous maintenant et commence déjà à faire ses preuves dans le monde entier.

Si l’IA en est encore à un stade d’enfance relative, notre défi consiste à la faire grandir et à maximiser son potentiel d’amélioration de la vie.

Financer une nouvelle IDEA révolutionnaire

Il est encourageant de constater que même si le défi semble d’envergure, notre capacité à faire la différence l’est également. Grâce au potentiel de l’IA et de sa capacité à sauver des dizaines de milliers de vies par an, voir des millions à plus long terme, nous sommes tenus d’agir.

Hassan Jameel, President Saudi Arabia Community Jameel,  Prof. Alice Gast, President of Imperial Collage, and myself, <a href=

Et c’est la raison pour laquelle la communauté Jameel est fière de s’associer avec L’Imperial College de Londres pour fonder L’Institut Abdul Latif Jameel d’analyse des maladies et des urgences ou J-IDEA.

J-IDEA est un Centre de recherche de réponse rapide visant à prévoir et à prévenir les crises sanitaires mondiales.

Les états du monde entier investissent dans une meilleure santé – mais avec des budgets limités, il est essentiel que les ressources soient utilisées de la manière la plus efficace possible. En réunissant les meilleurs épidémiologistes, biostatisticiens et statisticiens des données du monde et les meilleurs médecins, décideurs et intervenants humanitaires, J-IDEA va accélérer la création de programmes de santé efficaces et abordables, en particulier dans les pays à revenus faibles et intermédiaires. L’analyse des données de J-IDEA fournira la preuve que les gouvernements et les organisations internationales doivent cibler des interventions sanitaires – et les budgets de santé limités – pour obtenir un impact maximal.

L’expertise de l’Imperial College dans ce domaine est tout simplement inégalée.

Avec des travaux couvrant un large éventail de domaines pathologiques (maladies infectieuses émergentes, VIH, paludisme, tuberculose, polio, grippe, maladies tropicales négligées et plus), ses équipes de recherche adoptent une approche globale, avec un mandat couvrant la transmission, l’évolution et le contrôle des maladies infectieuses chez les populations humaines et animales. En associant l’analyse épidémiologique et génétique avec la modélisation mathématique, la recherche sur le terrain et la recherche expérimentale, l’Imperial College s’est imposé comme une ressource incontournable pour les décideurs politiques dans ce domaine.

Ses deux centres de recherche existants sont le Centre MRC pour l’analyse globale des maladies infectieuses – qui travaille avec les agences nationales et internationales sur les politiques et la lutte contre les maladies infectieuses – et l’Unité de recherche en protection de la santé du NIHR en méthodologie de modélisation – qui développe des outils analytiques et informatiques révolutionnaires pour améliorer la santé publique.

Ces antécédents impressionnants font de l’Imperial College un hôte naturel pour J-IDEA, qui est envisagé comme une plaque tournante pour les principaux scientifiques des données, médecins, épidémiologistes, biostatisticiens et intervenants humanitaires.

J-IDEA est né d’un désir d’améliorer la vie des personnes les plus vulnérables du monde. Nous y procéderons en utilisant l’analyse et la modélisation des données pour explorer les causes des crises sanitaires et humanitaires mondiales, puis en trouvant de nouvelles solutions radicales pour les gouvernements, les institutions et les communautés.

Au Moyen-Orient, par exemple, où le coronavirus MERS est très dangereux, notre équipe utilise une méthodologie de modélisation pour comprendre comment le virus se manifeste chez les chameaux. Ce faisant, nous calculons à la fois le risque humain et la puissance des nouveaux vaccins. En République démocratique du Congo J-IDEA participe aux efforts mondiaux d’endiguement de la marée Ebola – et fait déjà une différence tangible dans les zones les plus touchées.

Nous sommes fiers d’avoir à nos côtés le professeur d’épidémiologie Neil Ferguson qui sera notre premier directeur, réputé pour sa modélisation mathématique de la propagation d’agents pathogènes tels que le MERS, la grippe pandémique, Ebola, Zika et le SRAS. Le professeur Ferguson est soutenu par une équipe de renom, dont le professeur Majid Ezzati (un expert en santé environnementale mondiale), le Dr. Katharina Hauck (spécialiste mondial de l’économie des maladies infectieuses) et le professeur Tim Hallett (une autorité en épidémiologie et VIH).

Ensemble, nous avons l’intention de démontrer la puissance des analyses des données de santé et de transformer les vies tant sur le plan local qu’international.

 

 

Une approche commune pour améliorer la santé mondiale

Tout cela, bien sûr, n’est qu’une partie d’une l’histoire plus importante. J-IDEA souhaite s’associer au travail de l’autre Communauté mondiale de la santé : la Community Jameel,J-Clinic.

Lancée l’an dernier en partenariat avec le Massachusetts Institute of Technology (MIT), J-Clinic se concentre sur l’exploitation de l’IA pour prévenir, détecter et traiter les maladies non infectieuses débilitantes telles que le cancer, la septicémie, la démence et d’autres troubles neurologiques.

Sa mission englobe trois domaines principaux : concevoir de nouveaux médicaments pour bloquer les maladies non infectieuses ; créer de nouveaux tests de diagnostic pour détecter les problèmes de santé et accélérer leur traitement et la recherche de médicaments de pointe basés sur des thérapies personnalisées.

L’équipe du MIT a pris un bon départ, elle a déjà créé une nouvelle approche d’apprentissage automatique pour renforcer la capacité des antibiotiques à tuer les bactéries. L’équipe travaille également à la création d’un nouveau modèle prédictif qui vise à aider les médecins à traiter la septicémie dans les hôpitaux. Un autre volet de recherche s’est concentré sur la conception d’un nouveau système pour identifier les candidats-médicaments potentiels dans des ensembles de données pharmacologiques à grande échelle.

Il est clair que, jusqu’à présent, le monde n’a pas fait assez pour lutter contre la prolifération des maladies infectieuses. Trop souvent, nous avons attendu et laissé les plus vulnérables payer le prix fort, alors que nous aurions dû nous unir pour lutter ensemble contre la menace.

Parallèlement à J-Clinic, J-IDEA est la dernière étape fondamentale dans cette direction. Je suis très impatient de découvrir ce que les cerveaux les plus doués peuvent accomplir lorsqu’ils sont équipés d’un investissement aussi ambitieux.

[1] https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/44850/9789241564489_eng.pdf;jsessionid=2DCF58B1F3B535626C6C4E9C395F42EF?sequence=1

[2] https://www.who.int/en/news-room/fact-sheets/detail/the-top-10-causes-of-death

[3] https://www.who.int/en/news-room/fact-sheets/detail/ebola-virus-disease

[4] https://www.who.int/wer/2010/wer8513.pdf

[5] https://www.ecdc.europa.eu/en/news-events/recent-scientific-findings-association-between-zika-virus-infection-and-microcephaly

[6] https://www.independent.ie/world-news/fifth-mers-death-in-south-korea-31284293.html

[7] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2725828/

[8] https://www.thelancet.com/pdfs/journals/lancet/PIIS0140-6736(02)11807-1.pdf

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